LES FORETS NATALES
Arts d'Afrique équatoriale atlantique
Exposition au musée du quai Branly jusqu'au 21 janvier 2018.
Exposition au musée du quai Branly jusqu'au 21 janvier 2018.
Ne vous y trompez pas, Les forêts
natales n’ont rien à voir avec les arbres ou plus exactement si, avec le bois,
ce matériau qui transformé par des mains magiques prend formes humaines.
Vous ferez donc bien une balade,
pas à l’ombre des bubingas, kevazingos, et izombés mais en déambulant entre des
centaines de statuettes et de masques de la forêt équatoriale atlantique
d’Afrique. Pour le profane qui se sentira plus à l’aise un atlas devant les
yeux, la zone géographique concernée comprend la République Gabonaise, la
République de Guinée Equatoriale, le sud de la République du Cameroun et
l’ouest de la République du Congo.
Cette exposition qui, je le
répète, n’est pas en relation directe avec les forêts, est néanmoins
spectaculaire. Pourquoi me demandez-vous, perplexe devant l’enthousiasme, voire
la fascination qu’elle suscite chez ses visiteurs ? Tout d’abord, par
le nombre de pièces qui nous sont présentées : 325 masques liés aux
esprits et figures de reliquaires (autrement dit des statues utilisées dans le culte
des ancêtres) ! Comme l’explique la brochure du musée, non sans fierté, il
s’agit du « plus grand ensemble de productions artistiques d’Afrique
équatoriale atlantique du 17ème au début du 20ème jamais
exposé ».
Vous allez surtout découvrir un
art foisonnant, à la fois d’une diversité indéniable et d’une cohérence
culturelle pour chacun des groupes ethniques de cette région. Le parcours proposé nous
guide en s’appuyant sur les migrations et déplacements de population.
L’ordonnancement des objets favorise délibérément les séries, ce qui permet
d’identifier un style et donc une culture, de par le matériau et les formes des
œuvres. De cette manière, la déambulation se révèle aussi efficace qu’un cours
d’histoire de l’art africain grâce à l’identification des Fang, des Kota, des
Mbed, des Galwa, des Aduma, des Puna etc. au travers du culte des esprits et
des ancêtres.
Cette quête du sacré nous
interpelle aussi tant elle s’avère imposante avec ses légions de sentinelles
silencieuses, gardiens des reliquaires, symboles à la fois du passage entre les
mondes et de la Nature par le bois qui les compose. Ces témoins de l’invisible
nous rappellent aussi que les rites, initiatiques ou non, et les cérémonies
qu’ils évoquent ont aujourd’hui disparu et que l’Occident reconnaît depuis peu
les arts africains.
Est-ce l’effet de la scénographie
ou de la puissance de leur présence démultipliée ? La pensée animiste
devient en quelque sorte tangible grâce à cette garde rapprochée, et nous
oblige à un niveau subconscient tout du moins, à revoir notre copie occidentale
sur les arts premiers, car le spectateur ressent une forme de médiation, très
loin du culte religieux classique, entre le « grand tout » et
l’humain. Une des fonctions vitales de l’art n’est-elle pas justement d’ouvrir
cette lucarne sur l’au-delà du visible ? Alors il s’agit bien des forêts
natales, de celles qui donnent jour non pas à une forme archaïque d’expression
mais aux artistes d’Afrique et à ceux qui, tels Picasso marchent sur leurs
traces.
Enfin, la série des masques Punu
qui termine l’itinéraire guidé vaut à elle seule une visite au musée. Ces
masques en bois, enduits de kaolin, se drapent de la couleur de la mort :
le blanc ! Ils évoquent la première femme : la Mukaukila. Pour ce
groupe ethnique du sud de l’Afrique centrale, le culte des esprits des ancêtres
utilise donc des masques féminins lumineux.
Entre le blanc du deuil et celui
de la transfiguration, entre la vie et la mort, entre les pluralités cultuelles
et culturelles, entre histoire de l’art et médiation par l’art, autant de
dialogues et de questions qu’ouvre pour nous la proximité de ces œuvres d’art. Ces
objets mis en lumière introduisent, comme l’écrit Bonaventure Mvé Ondo, professeur
de philosophie de Libreville, « à un autre niveau de savoir, comme des
interfaces entre deux mondes ».
Ainsi ce parcours mémoriel et mémorable se
prolonge-t-il bien au-delà du temps d’une visite avec l’espérance d’un monde
d’échange et de partage.
Barbara Marshall
37 Quai Branly, 75007 Paris